“Les Sauvages des Lumières”-12 et 13 mai, Cergy Pontoise et Paris 1

Colloque international “Les Sauvages des Lumières”

Organisé par Blaise Bachofen (Laboratoire d’Études Juridiques et Politiques, CY Cergy Paris Université), Leonardo Moreira (Centre d’Histoire des Philosophies Modernes de la Sorbonne, Université Paris 1) et Stéphanie Roza (Triangle / CNRS – ENS de Lyon)

Inscription dans la limite des places disponibles: https://cydroit.cyu.fr/formulaire-colloque-les-sauvages-des-lumieres

La question de l’universalité de l’héritage des Lumières se pose de façon insistante dans nombre de débats contemporains, qu’ils portent sur la tolérance, notamment religieuse, sur la démocratie, sur l’émancipation, sur les droits des minorités, sur l’égalité entre les peuples ou sur l’écologie. Foucault, en 1984, dénonçait « le “chantage” à l’Aufklärung » et l’« alternative simpliste et autoritaire : ou vous acceptez l’Aufklärung, et vous restez dans la tradition de son rationalisme […] ; ou vous critiquez l’Aufklärung et vous tentez alors d’échapper à ces principes de rationalité » [Dits et Écrits IV, 1994]. Si l’autonomie par la raison est ce qui définit les Lumières – selon l’hypothèse de Kant que Foucault examine –, faut-il en déduire que la pensée européenne du XVIIIe siècle a vocation à servir de boussole à toute l’humanité ? Ou l’universalité rationnelle dont les Lumières seraient le moment paradigmatique est-elle le masque d’une expression particulière voire réductrice de la pensée, européo-centrée et réduisant la rationalité à un instrument de domination politique et technique ?

On néglige souvent le fait que les Lumières ont ébauché ce que Mark Hulliung nomme une « autocritique » [1994]. Celle-ci s’illustre de façon exemplaire dans la façon dont la figure du « sauvage » a servi à penser l’identité de l’Occident vis-à-vis de son autre. Les références à ce que l’on sait (ou croit savoir) « du sauvage » ou « des sauvages » sont mobilisées au XVIIIe siècle de façon récurrente, même presque systématique, pour penser la formation de la société, le pouvoir, la morale, la religion, le droit, la guerre, le langage et les notions de progrès et de civilisation. Ce vaste corpus herméneutique construit autour du sauvage est tributaire des textes précurseurs de Montaigne, mais également de Grotius, Pufendorf, Locke, Leibniz et de bien d’autres qui, dès le XVIIe siècle, « recherch[ent] la société de la nature pour y méditer la nature de la société » [Lévi-Strauss, 1962].

Les travaux contemporains sur cet aspect de la pensée des Lumières portent principalement sur l’interprétation du mythe du « bon sauvage » – qui renvoie à une tradition moraliste « primitiviste » –, et sur l’ambivalence que recèle l’idéalisation du sauvage conçu comme un état purement naturel de l’humain. Michèle Duchet [1971] souligne que la représentation du sauvage ne tend pas toujours à l’idéaliser mais en fait souvent, au contraire, un repoussoir : elle sert à mettre en garde contre l’animal que nous avons été et que nous risquons de laisser resurgir en nous. Cependant le discours sur les sauvages ne se réduit pas à ce balancement schématique entre modèle et contre-modèle. Comme l’ont noté Durkheim [1953], Lévi-Strauss à propos de Rousseau [1962] et Duchet identifiant à partir des années 1720-1740 un tournant méthodologique chez des auteurs tels que De Bry en Allemagne, Raleygh en Angleterre et Thévenot ou Lafitau en France, on peut identifier dès le XVIIIe siècle une « pré-ethnographie », voire une « pré-ethnologie » [Duchet, 1971]. Le sauvage cesse alors d’être essentiellement une construction de l’esprit, un « homme de la nature », et prend la consistance d’un être social concret, objet d’observations plus ou moins rigoureuses, dont les mœurs intéressent missionnaires et savants. 

Parmi les ouvrages qui ont traité ces thématiques et celle, corrélative, du rapport entre les conceptions du sauvage au XVIIIe siècle et la colonisation, ouvrages peu nombreux si l’on considère les enjeux et le corpus à étudier, on peut mentionner I filosofi e i selvaggi [1972] ; L’Amérique des Lumières [1977] ; Primitivisme et mythe des origines dans la France des Lumières (1680-1820) [1989] ; plus récemment, La fabrique du sauvage dans la culture nord-américaine [2009] ; Enlightenment Political Thought and non-Western Societies: Sultans and Savages [2009] ; The French Enlightenment and Its Others: The Mandarin, the Savage, and the Invention of the Human Sciences [2012] ; L’Amérique de John Locke. L’expansion coloniale de la philosophie européenne [2014] ; Les savoirs des barbares, des primitifs et des sauvages. Lectures de l’Autre aux XVIIIe et XIXe siècles [2018] ; Barbaries, Sauvageries [2020] ; Os selvagens de Rousseau [2021]. Aucun ne traite dans sa globalité et d’un point de vue philosophique la question de ce que les Lumières disent des sauvages. La pluralité des approches et la richesse des travaux théoriques qu’offrent à lire les auteurs des Lumières laissent donc largement matière à de nouvelles recherches et interprétation. 

Vendredi 12 mai
CY Cergy Paris Université – Site de Neuville
Maison Internationale de la Recherche, Auditorium
1 rue Descartes, 95000 Neuville-sur-Oise
Accès à la MIR depuis la station Neuville-Université (RER A)

10h00 Accueil
10h15 Introduction (Blaise Bachofen)

Matinée (présidence Alain Grosrichard)

Première thématique – Les peuples sauvages, objets d’une anthropologie naissante

10h30-11h00 : Pedro Paulo Pimenta (Universidade de São Paulo) : « La représentation du sauvage américain dans l’Encyclopédie. Repères pour une recherche »
11h00-11h30 : Sylviane Albertan-Coppola (Université d’Amiens) : « Les langues sauvages dans L’Histoire générale des voyages de l’abbé Prévost »
Discussion (30 mn)

Pause-café

12h15-12h45 : Leonardo Moreira (Université Paris 1) : « La “pensée du sauvage” au miroir des Lumières »
Discussion (15 mn)

Pause déjeuner

Après-midi (présidence Stéphanie Roza)
14h-14h30 : Maria Constança Peres Pissara (Pontifícia Universidade Católica de São Paulo) : « Le sauvage de Souza Caldas, poète brésilien et lecteur de Rousseau au XVIIIe siècle »
14h30-15h00 : Raffaele Carbone (Università di Napoli Federico II) : « Le déclin du mythe du bon sauvage : Volney et les Lumières tardives »
Discussion (30 mn)

Pause-café

Deuxième thématique – La rencontre entre l’Occident et les mondes sauvages. Conquête, colonisation et récits de voyage

15h45-16h15 : Lyess Bouderbala (Docteur en philosophie Paris 1) : « Sauvages et barbares dans le droit de la guerre au siècle des Lumières »
16h15-16h45 : Huguette Krief (Université d’Aix-Marseille) : « L’Indien des Lumières, de la rhétorique romanesque à la déconstruction révolutionnaire (Mme de Bénouville, Bernardin de Saint-Pierre, Barbault-Royer, Lucien Bonaparte) »
Discussion (30 mn)

Samedi 13 mai
Université Paris 1 – Salle Halbwachs
17 rue de la Sorbonne, 75005 Paris
Esc. C, 1er étage

Matinée (présidence Bertrand Binoche)
10h-00-10h30 : Myriam-Isabelle Ducrocq (Université Paris Nanterre) : « Zones de contact et culpabilité de la conquête dans les Journaux de voyage de James Cook »
10h30-11h00 : Anne Verjus (CNRS) : « La mise en fiction littéraire du sauvage : L’Empire des Nairs, de James H. Lawrence (1773-1840), de la caste indienne au roman d’émancipation »
Discussion (30 mn)

Pause-café

Troisième thématique – Hypothèses sur les mœurs et la politique des sauvages

11h45-12h15 : Vincent Grégoire (Docteur en philosophie Paris IV) : « Le sauvage et le pauvre. John Locke lecteur de José de Acosta »
Discussion (15 mn)

Pause déjeuner

Après-midi (présidence Leonardo Moreira)
14h-14h30 : Pierre Crétois (Université Bordeaux-Montaigne) : « Les sauvages rousseauistes connaissent-ils la propriété ? »
14h30-15h00 : Kenta Ohji (Université de Tokyo) : « La “civilisation des sauvages”, ou la naissance des États libéraux modernes : autour de la question de la propriété dans l’Histoire des deux Indes de Raynal/Diderot »
Discussion (30 mn)

Pause-café

15h45-16h15 : Ourida Mostefai (Brown University) : « La figure du Hottentot dans le Second Discours de Rousseau »
16h15-16h45 : Michaela Rehm (Universität Bielefeld) : « Y a-t-il des agents moraux par nature ? »
Discussion (30 mn)

17h15 Conclusion (Stéphanie Roza)

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